Valérian GUILLIER

La culture … « Ã  l’appui d’une croissance intelligente, durable et inclusive »[1]

Le titre peut prêter à sourire. Non ? Voire à rire assez franchement. Pour les  personnes qui sont le plus au fait des dernières tendances de l’Union Européenne, cela pourrait même faire sens.

Il est admirable de voir ce que l’Union  peut produire en matière  de mots creux.

Commençons donc par la seconde partie. La croissance est décrite comme intelligente, inclusive et durable. Au delà de la continuation d’une rhétorique linguistique aux métaphores religieuses bien huilées (les Marchés « disent » et « pensent » et il nous faut obéir), voilà une croissance « intelligente », qui « inclut », et qui « dure », qui nous délivrera du mal. On ne peut s’empêcher de pouffer devant le terme de « croissance intelligente ».

Je m’arrête déjà sur le fait que le résultat d’un calcul (différentiel de l’activité économique sur deux périodes) soit qualifié d’intelligent. L’antropomorphisation d’un résultat (ce que l’on met couramment à droite du signe égal) tente d’en faire oublier la bêtise intrinsèque. La croissance est bête. C’est un résultat, le résultat d’un calcul qui ne fait pas de sens. L’exemple est connu : un accident de la route fait dépenser de nombreuses sommes, pour évacuer les victimes, sauver les vivants, nettoyer la chaussée, payer l’enterrement des morts, etc. L’accident est donc la cause d’une activité économique intense, et est donc potentiellement un facteur de croissance, ce qui en fait la joie de tout économiste consciencieux. La croissance n’est pas – et d’autres l’ont démontré depuis longtemps – un indicateur pertinent d’un quelconque bien-être ou développement de nos civilisations. Mais maintenant qu’elle est intelligente, tout va ! Nous allons donc générer de la croissance, mais sans les accidents de la route ! En plus, cette croissance est inclusive.

Selon ce titre, tel que je lis , la croissance « inclut », et comme on ne nous dit pas qui, nous aurons la générosité de penser que l’inclusion se lit à plusieurs degrés – des individus, personne ne discrimine personne dans l’Europe de l’amour, et ne me parlez pas des Roms en Europe ! – des territoires défavorisés (entendez ruinés par une centralisation des recettes et une décentralisation des dépenses) et puis dans un magma douteux, nous inclurons bien les immigrants – probablement ceux dont on vient d’apprendre qu’ils doivent signer une décharge concernant les pains au chocolat en période de jeûne.

Et, par dessus tout, une croissance durable ! Si nous n’avions que frôlé l’oxymore en se contentant de la bêtise, nous y voici. La croissance, qui repose sur le « toujours plus », ayant à ses pour fondements une consommation frénétique des énergies fossiles – j’inclus le nucléaire – et des matières premières en quantité limitée et finie dans des sous-sols toujours moins riches, cette croissance, devrait être durable. A une heure amusante où l’on s’entend à prêter une humanité aux résultats, on semble en oublier Lavoisier : rien ne se crée, rien ne se perd… et la croissance infinie ne peut reposer sur des ressources finies.

C’est là qu’arrive la culture, appui de la dite croissance. La culture, dans les programmes européens est – je simplifie, certes un tantinet – réduite à son impact économique. On ne parle pas de compagnie ou de lieu, on parle de PME, en difficulté. La tendance n’est pas nouvelle, mais c’est le premier projet européen (2014 – 2020) sur lequel mon attention se porte. Ah, et puis à bas les simplifications énoncées auparavant, la culture, ça n’est pas que des PME, c’est aussi resserrer les « liens étroits » qui lient les Européens. La culture a donc des buts. Deux. L’un est au service du parti unique (l’européanisme béat), l’autre au service de son Eglise (le libéralisme).

« Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos », disait un humoriste qui nous a quitté avant Maastricht, je n’ai rien contre l’Europe, c’est le contraire… J’aime l’idée de l’Europe, dans ce qu’elle dépasse les nationalismes stériles, encourage les échanges et incite aux rencontres. J’aime l’Europe, celle que Jean Monnet n’a jamais voulu refaire, celle qui commencerait par la culture. Je déteste l’Union, dans ce qu’elle se prétend apolitique et refuse les débats idéologiques, c’est-à-dire se contente du parti unique et libéral; dans ce qu’elle a d’anti-démocratique, alors que plus des trois quarts de la législation nationale découle du droit européen, il n’est toujours pas demandé aux citoyens ce qu’ils en pensent, ou juste pour consultation, ou alors quand on n’a pas le choix. Je déteste l’Union, enfin, lorsqu’elle réduit la Culture au développement des entreprises artistiques et culturelles, lorsqu’elle ne reconnait un intérêt aux choses que lorsqu’elles ont une valeur économique, et lorsqu’elle fait primer cette dernière sur toutes les implications d’un mot aussi riche que Culture[2]. La Culture est le seul produit de l’activité humaine qui soit infini puisqu’elle est le produit de l’esprit. Elle est intrinsèquement opposée à la croissance, en ceci que la culture est une source d’intelligence, d’inclusion et de durabilité. En ce qu’elle est au service des hommes. Ni de l’Union, ni des pouvoirs, ni – et surtout pas – du spectacle.