Les prix sont stables, pas les contenus ni les prestations !

Il suffisait d’y penser : on conserve le prix mais on remplit moins la boîte … ou on change l’emballage – avec un superbe accompagnement publicitaire. Même les futés bisons de la lutte contre l’inflation n’y ont rien vu. Un magazine spécialisé (60 millions) a tout de même su tirer le signal d’alarme fin 2008. Il a même débusqué une troisième technique plus pernicieuse, plus dommageable aussi peut-être pour le consommateur : il ne s’agit plus de quantité légèrement réduite ou d’emballage plus séduisant qui accompagne un changement de prix (vers le haut) ou de qualité (vers le bas) mais sans toucher à rien de visible (prix, quantité ou emballage) il suffit de modifier la composition des produits de manière à les rendre moins coûteux – avec le risque qu’ils soient moins bons au goût ou d’un point de vue diététique par exemple.
Comment le consommateur peut-il dans de telles conditions de mensonge et d’insulte porter la moindre estime ou éprouver le moindre désir pour les produits, les producteurs et les diffuseurs de la grande consommation ? Faut-il s’étonner des manifestations de dépit que l’on peut constater çà et là : destructions, pillages, vols, irrespect, fraude etc. aux dépens des grandes enseignes. Donc avec l’escalade de la surveillance-répression qui s’ensuit, d’où cette ambiance délétère qui règne désormais dans ces espaces où devrait régner en maître l’euphorie capitaliste de la débauche consommatrice.

L’université est-elle une marchandise ?

Après cette excursion parmi les produits bien tangibles mais périssables, revenons aux denrées périssables non tangibles.
La pensée en fait partie, ou autrement dit les cerveaux qui l’engendre. De là cette fuite des cerveaux : belle innovation dans le domaine des flux tendus que les cerveaux jetables. Usé ici, utile ailleurs ou le contraire. C’est pourtant la technique qui est appelée à devenir le lot quotidien des travailleurs-producteurs intellectuels au sein d’un univers de recherche crispé sur le profit immédiat.
L’Europe, ou du moins l’Union européenne semble très soucieuse de voir la pensée, la recherche, se soumettre à la loi de la demande (enfin, celle des pouvoirs publics). Il s’agirait pour elle de « s’adapter au marché du travail » ou autre formule chère aux lobbyiste de Bruxelles et du « Processus de Bologne », de « former les futurs salariés ». Prérogative nationale l’Europe ne peut qu’inciter (on serait tenté de dire « proférer » des incitations) auprès des gouvernements des Etats-membres. La communauté universitaire est très réticente quant à l’idée de devoir se soumettre aux politiques à très courte vue des états-majors de la haute finance et des multinationales avec, ces derniers temps un argument particulièrement pertinent et je citerai un collaborateur de France-Info commentant le rejet vigoureux de la LRU et surtout de l’idéologie dont elle procède :
Pourquoi voulez-vous que nous nous adaptions à la demande du marché alors que le marché lui-même est incapable de donner des prévisions fiables à six mois ou un an ?
Et ceci :
Un autre argument revient également : le risque de soumettre la recherche universitaire aux besoins des entreprises. Avec tous les risques de dérapage que cela comporte. On peut par exemple lire dans la revue XXI une enquête édifiante sur des chercheurs américains qui ont falsifié des recherches pour complaire à leurs bailleurs de fonds – des sociétés de l’industrie pharmaceutique. Autre risque, moins spectaculaire : que l’université cesse de proposer d’autres modèles, cesse d’être un foyer de critique et de proposition, ce qu’elle a souvent été depuis le Moyen Age. (Emmanuel Davidenkoff – 29 novembre 2008)
Enfin, on peut également oser espérer que l’université sera sauvée par le gong de la crise : en effet quelle entreprise (elles sont présumées en difficulté) ira s’encombrer d’universités (particulièrement de science sociales) sans le moindre espoir de profit et où l’on ne fait que mettre en cause le bien fondé des concepts de croissance infinie, de spéculation et où l’on analyse les dérives anti-sociales des différents systèmes économiques ?

… et l’hôpital ? … et la mort ?

Mais l’optimisme n’est pas de mise quand on observe que l’Hôpital est lui aussi invité à se mettre en règle avec le devoir de profit et de rentabilité, culture du résultat oblige, en clair ce qu’entendait par là nos plus hautes instances se ramène à ceci : de bons scores assurent de bons budgets (il sera recommandé de ne pas trop accueillir de victimes « susceptibles de trépasser », explique avec beaucoup de lucidité Caroline Fourest (dans son billet du Monde en date du 26 septembre 2008) elle ajoute que la devise de l’hôpital public devra sous peu devenir : « allez mourir ailleurs c’est mauvais pour nos statistiques ! »
Céderais-je à la tentation d’enchaîner sur les scandaleux profits réalisés par les pompes funèbres sur le dos des survivants. Non !
car je suis incapable de décrire sans vomir ce monde où l’on taxe tout : même le chagrin.
Mais qui s’en plaint ?
Pour se convaincre de ce que le « client » contemporain est capable « d’avaler » il suffit de se remémorer la mise en place (finalement récente), paisible et réussie de la pire arnaque institutionnelle qu’on puisse imaginer.

Le consensus et l’arnaque : vive le forfait

Partis de l’acquisition d’objets concrets nous sommes passés à ce surplus sans substance qui affecte l’objet et qu’on appelle la mode pour parvenir à l’instant au commerce de l’immatériel mais d’un immatériel actif : la pensée.
Plus fort encore est peut-être le commerce de l’immatériel inexistant inactif : autrement dit la vente forcée du « pas encore » ou du « peut-être jamais » (également appelé « forfait » dans l’univers des commerciaux).
Pire arnaque, il n’y a guère… sauf …
Sauf à vendre sous la contrainte, à des victimes forcées par la menace et la violence … rien du tout, rien que ce soit ! (Ceci porte un nom : le stationnement payant).
Nous sommes entourés d’esprits critiques très vigilants et qui donc « critiquent » tout, rien n’échappe à leurs puritaines indignations … mais tout le monde, comme un seul homme a gobé l’indignité, le racket d’une pratique entrée sans la moindre réticence dans les mÅ“urs – alors qu’elle était formellement interdite par la loi et la morale : la vente forcée par anticipation avec engagement de durée.
Le « forfait » porte bien son nom, c’en est un – une authentique forfaiture qui a trouvé une zone de non-droit dans nos lois.
Comment peut-on vendre non seulement ce que l’on n’a pas consommé, que l’on ne possédera jamais, mais aussi ce que peut-être on ne consommera pas.
Il ne s’agit pas du tout d’un abonnement qui ouvre des droits ou des possibilités mais bien d’une « consommation » éventuelle!
Non pas d’un paiement anticipé ! Mais d’une vente forcée de biens qui seront peut-être non acquis dans les faits et non consommés car celle-ci est, comble du racket, bridée dans le temps.
Dans la même logique on devrait faire payer l’entrée dans les centres commerciaux pour y acquérir le droit de s’y ruiner dans les magasins qu’ils abritent … ou à l’entrée du supermarché – charge au client d’acquérir des biens à hauteur de son « forfait » etc. (Certaines grandes enseignes de la distribution ont déjà mis cela au point par le jeu de cartes de crédit-épargne (à approvisionner en amont bien sûr!). On ne peut pas mieux « fidéliser » une clientèle qu’en lui ofrant de faire « gérer » ses économies par la grande surface où elle est condamnée à tout se procurer.
Avec le forfait, la fin du XXème siècle a franchi un véritable seuil : la pure malhonnêteté est entrée dans les moeurs sans que qui que ce soit feigne de « tousser » ou de s’en émouvoir.
Qui oserait plaider ? L’Etat lui-même a recours à cette pratique.
Et avant de « plaider » il faudrait déjà que les intéressés, nos contemporains, acceptent d’ouvrir les yeux et vivent leur vie sur un mode autre que celui de la résignation permanente.

Payer contre rien en échange (parking)

Même chose – à peine plus contestée – la vente de rien. Le paiement du stationnement n’est pas prévu par la loi ni la constitution. Il est de l’ordre du réglementaire adossé sur rien que ce soit dans le domaine législatif. D’ailleurs comment le pourrait-on ? Vent-on du vent ?
Les Beatles faisaient sourire avec leur titre Taxman : if you take a walk I tax your feet … qui comprendrait encore aujourd’hui cette forme de sarcasme?
L’espace public donc collectif, dont nous sommes, selon la loi, co-propriétaires nous est « loué ».
Nous loue-ton la maison-appartement… dont nous sommes propriétaires ?
Paie-t-on un droit pour pénétrer chez soi ?
Ni gardiennage, ni protection (toiture ou autre) ni installations spécifiques ne sont offertes hors les dispositifs de recouvrement de l’argent à verser !
Aucun échange, donc selon la loi, c’est un pur racket – répréhensible.
La preuve en est que quiconque plaide (coût de l’opération exorbitant) toujours gagne. Mais qui le fait?
L’Etat ou la municipalité condamnés ne le sont cependant jamais avec aggaravation de la peine pour récidive !
Souvenons-nous de la stupeur des Indiens d’Amérique du Nord quand on leur expliqua qu’on pouvait acheter et vendre l’espace, la terre, des parcelles de terrain… et de commenter effarés : pourquoi pas l’eau ? (c’est fait rassurons-les) pourquoi pas l’air (c’est en cours)… Tout, oui vraiment tout est marchandise pour l’homme blanc.
A commencer par lui-même – il suffit de voir son rapport au travail et les servitudes complaisantes auxquelles il s’adonne aux seules fins de parvenir à se mentir, à se dissimuler qu’il s’y résigne.