Avec Dolly, pointe une sexualité libérée de la reproduction : enfin, c’est plutôt exactement l’inverse ce qui, bien curieusement c’est inattendu, revient strictement au même. La reproduction asexuée véhicule une autre dimension, celle du plaisir auquel on enlèverait la caution (pourtant si diaphane) de la reproduction.

Alors le plaisir n’aurait même plus cette inscription théorique pour se justifier. Et la sexualité noble (cette « efficace » de la reproduction) s’absentera des régions sales où elle s’accomplit n’y laissant plus que la nuance quasi-excrémentielle : sa connotation fonctionnelle.
Privé de son immémoriale ambiguïté le plaisir sexuel se réfugierait bien vite vers des stimulations plus abstraites, plus « virtuelles » tandis que le renouvellement de la race serait confié aux industriels de la biotechnologie et aux politiciens de la bio-éthique, sorte de nouveaux prêtres de notre belle « religion du corps parfait » – la physiolâtrie – assurant le renouvellement de la race, indispensable aussi longtemps qu’il y aura l’usure et la mort réputée naturelle.

Cette dernière, appelée à être de mieux en mieux contrôlée, régressera devant la mortalité accidentelle qui sera un jour ou l’autre la principale cause de disparition des êtres humains, loin devant le dépérissement naturel et la maladie incurable.
Clones immortels et plaisir sans contact, à distance, en conserve, hors la chair, neurone à neurone est-ce cela qui effraie tant nos contemporains ? Ou sont-ils tellement prostrés qu’il n’ont que peu de chance d’apercevoir ce très long terme-là ? Quoi qu’il en soit et quelle qu’en soit la cause : le clone dérange.

Quant à l’avenir de la fine érotique des voluptés ? La réalisation d’un clone de brebis britannique, la chose fut « avouée », avait fait des vagues mythiques.
On comprend pourquoi : cette fois ce n’était pas d’une méduse ou d’une bactérie, qu’il s’agissait c’était d’un mammifère.  Et quel mammifère : l’agneau ! A deux doigts de l’ « agneau de Dieu », du symbole de pureté, de blancheur, d’authenticité et de douceur.

En outre notre clone est conçu sans péché. C’est en effet le cas, il est issu de la conception immaculée, sans accouplement et sans plaisir. On aurait ainsi – blasphème ! – osé reproduire la parthénogénèse mariale, monosexuée, asexuée… le double, vrai et pur, issu du même.

Vient en effet s’y greffer l’éternelle et malsaine fascination pour le double qui a  tant et tant hanté les littératures depuis les Grecs. Comment tolérer cet autre moi, physique : moi mais sans ma tête, sans ce qui s’y est passé depuis son début. Sosie au-delà de moi et qui, ô rage ! , peut me survivre alors que moi, à qui je tiens tant, ne survivrai pas. Le clone est la durée qui m’est refusée… sauf qu’ils ont l’air bien fragiles tout de même les clones.

En fait le problème est que le clone ne sert pas à nous prolonger nous-mêmes, pas plus qu’un enfant. On a eu beau vouloir l’ influencer, il n’en demeure pas moins jamais que strictement lui-même et forcément autre que son parent ; parent, qu’en fait, il ne prolonge pas.
Avec Dolly, par contre, là, l’inné prime l’acquis.

Lire aussi, à ce propos, une autre détresse mythique dans cette appréhension-fascination qu’exerce le clonage. Cette fascination, ne s’exerce que parce qu’au fond on demeure persuadé et l’on sous-entend que l’inné, le biologique est infiniment supérieur à l’acquis. Le clone, son image-problème, n’est pas qu’un amusant sosie. Non, si l’on redoute le clone c’est que l’on craint cette sourde croyance inavouée et inavouable en l’inné et que l’on a la ferme certitude que tôt ou tard, puisque la chose est faisable, l’eugénisme sera une réalité pratique et efficace.

On le sait, l’humain fait toujours tout ce qu’il peut.

C’est faisable mais dangereux il le fait quand même. Donc l’eugénisme sera. Et on le regrettera, on le déplorera…  l’interdira-ton  ? Sans doute Parviendra-t-on à l’empêcher ? Moins sûr.
Pourtant, qui, si on lui en donnait le choix, choisirait d’avoir des enfants mal foutus à vie ? qui aurait choisi pour soi-même de naître tordu,  bancroche, atteint de telle ou telle infirmité congénitale ou héréditaire ? Franchement qui ne mettrait pas tout en Å“uvre pour s’assurer une superbe et brillante descendance ?

Mais, aujourd’hui, qui peut bien avoir le courage de le reconnaître ?

La paresse de nos réflexions (nous gens du XXème siècle et un peu plus) en matière d’éthique est telle que nous ne sommes pas près de rattraper le retard que nous avons pris par rapport aux progrès techniques en la matière !