La valeur sociale de l’innovation technologique en question

On aurait vite fait de voir dans les technologies en question une panacée « universelle » propre à concerner chacun sur cette terre. Or elle ne concerne que quelques utilisateurs privilégiés, certes les plus prompts au tapage et à l’autosatisfaction.
Les utilisateurs du réseau Internet sont principalement des nord-américains et autres habitants des pays développés. Ils ont les moyens financiers et intellectuels de s’approprier les nouvelles technologies de communication qui reflètent leur culture occidentale ; ils se sont saisis de cet outil (qu’ils ont eux-même engendré) et favorisent ainsi le développement d’une culture bien particulière qui véhicule de la sorte ses propres valeurs. Tout laisse donc à penser que l’extension d’Intemet à d’autres populations demandera, de la part de celles-ci une adaptation forte qui s’accompagnera peut-être d’une perte de la richesse des échanges liée ordinairement à la diversité culturelle et aux traditions orales.
Il faut impérativement interroger, à cet égard, la véritable valeur sociale de l’innovation technologique : car une innovation ne vaut que si elle est associée à une poussée sociale qui la soutient, l’attendait et l’impose2. Elle n’atteint son statut de « progrès technique » que si une partie non négligeable du corps social peut et sait l’utiliser. Elle dépend de la faculté du groupe à l’adopter, à l’intégrer, à l’adapter au quotidien. Or tel n’est le cas que dans les régions les plus « favorisées » du monde.

Technolâtrie et marché de dupes

Célérité contre lucidité tel risque bien d’être le marché de dupes. D’autres aspects découlent de la fébrilité technolâtrique. Un des risques encourus est celui d’une uniformisation de la communication qui serait induite par le support puisque, pour se faire comprendre par la majorité des utilisateurs, il faudra concevoir les messages selon des codes faisant référence à des concepts culturels minimaux, dépendant de surcroît de la culture et des contraintes informatiques. Plus que jamais le medium sera le message3 !
Autre chose, mais ce n’est pas le moindre danger : que peut-on penser d’un « outil » qui se prétend de « communication » et qui évacue, voire même qui occulte trois des cinq sens : le toucher, l’odorat et le goût, sens tous trois réputés prépondérants lors des contacts interculturels ?

Remarques qui nous ramèneraient à interroger l’intérêt qu’il y a à toujours commencer par l’étude de l’objectif de la communication : le « pour quoi communiquer ? » et le « pour communiquer quoi? »

Idol̢trer ou diaboliser РSeule alternative ?

In fine comment se tenir, ainsi qu’évoqué au début, à égale distance des enthousiasmes naïfs (ou marchands) et du dénigrement frileux et diabolisant ? Incontestablement, ces techniques présentent des aspects très positifs, mais cela suffit-il à justifier l’emballement et le fanatisme idolâtre ? Les profits et avantages sont-ils sans risque et sans coût, sans contrepartie aucune? Bien sûr que non.

On connaît bien ces propos tout de réticence à l’égard des progrès techniques de l’humanité et qui insinuent qu’après tout la technologie n’a peut-être pas constitué une évolution pour la race humaine : elle l’aurait privé, entend-on parfois, par l’assistance médicale forcenée, quasi-acharnée, de ses défenses naturelles, privé de ses comportements intuitifs de protection, d’alimentation, de purge, de modération de ses élans et appétits, de ses facultés d’auto-régulation, d’immunité acquise ou transmise … la liste est longue des réserves et craintes, hantises et dénigrements. En outre l’homme serait devenu dépendant de techniques d’étourdissement qui se sont substituées aux loisirs qui s’étaient eux-mêmes, auparavant, substitués au repos.
Ces technologies, qu’elles soient idolâtrées ou non, concernent toutes les organisations humaines en tant qu’outil de diffusion, de circulation de l’information donc aussi de prosélytisme militant.

Elles peuvent, cependant, heureusment, tout aussi bien, et de manière spontanée, représenter un authentique lieu de débat, un forum virtuel (et planétaire) de « discussion », donc un espace de véritable liberté.

Reste que la vitesse et la quantité d’informations, maniées sans prudence, s’opposent trop souvent à la clarté de jugement, à la réflexion lente, posée et silencieuse. En d’autres termes, insistons : la célérité évacue la lucidité…
quant au goût, à la saveur …