En outre, Internet permet d’établir un dialogue personnalisé à grande échelle avec des personnes inaccessibles auparavant. De nouvelles formes de médiation apparaissent, qui permettent de délivrer les informations aux communautés de fans et d’amateurs. Les internautes apprécient particulièrement de pouvoir tisser une relation personnelle avec les personnalités qu’ils apprécient et de pouvoir dépasser la simple relation commerciale standardisée. Les nouveaux outils de communication permettent de tisser des liens de plus en plus fort entre les publics et leurs artistes. Alban Martin parle d’humanisation de l’artiste. Par contre, cette accessibilité accrue de l’artiste est à double tranchant selon lui, puisqu’elle peut aller à l’encontre de l’image de magie qu’il transmet. Toujours est-il que pour un artiste en début de carrière, « le dialogue personnel avec une communauté de fans permet de tisser des liens de fidélité durables. Et il y a fort à parier que cette même communauté fera d’eux des “stars” et les portera aux nues »[10].

Parallèlement au développement de l’expérience en temps réel comme offre différenciée justifiant de payer, la distribution numérique est également l’occasion de redéfinir le rôle entre l’industrie et ses clients. Comme l’écrit André-Yves Portnoff, directeur du think-tank Futuribles : « Il  …  faut  …  aller au-delà de la technique : innover, c’est réinventer métiers, modes d’organisation et styles de management. En d’autres termes, innovations technique et socio-organisationnelle forment un tout indissociable[11]. »

Innovation ascendante, mécanismes de l’économie du crowdsourcing

Comme l’affirme Eric Von Hippel, chercheur au MIT : « L’innovation émerge désormais des deux côtés de la caisse enregistreuse[12]. » Qualifiée d’ascendante, ce nouveau type d’innovation remonte de la base des utilisateurs vers l’entreprise, alors qu’elle emprunte d’habitude le chemin inverse. En 2006, Jeff Howe, journaliste pour le magazine Wired, décrit ce phénomène par le néologisme « crowdsourcing », un nouveau type d’externalisation (outsourcing). Les évolutions et la démocratisation des TIC ont permis de réduire l’écart entre professionnels et amateurs. Dès lors, les entreprises peuvent faire appel à la foule (crowd en anglais) des internautes pour externaliser des tâches à moindre coût. La coopération « bénévole » (ou l’échange gratuit d’idées) n’est donc pas dénuée de valeur financière, surtout lorsque ces innovations aident à améliorer l’expérience utilisateur. L’encyclopédie en ligne Wikipedia ou encore les logiciels libres en sont de très bons exemples.
Par ailleurs, comme le souligne Alban Martin, les systèmes P2P représentent, dans une certaine mesure, un exemple de crowdsourcing efficace et innovant, qu’il convient de réhabiliter : « Ce changement de relation, qui place l’usager au centre de l’entreprise, bouleverse quelques idées reçues notamment dans notre considération des pirates et autres “hackers”  … . Ainsi, les développeurs de logiciels de peer-to-peer, assimilés souvent à des pirates, ont ouvert la voie aux plateformes de musique légales, en montrant à l’industrie du divertissement une nouvelle forme de demande et de consommation. Niklas Zennström de Kazaa et Skype, Bram Cohen de BitTorrent ou encore Shawn Fanning de Napster sont convoités par de nombreux éditeurs de logiciels. À partir de simples bidouilles de programmeurs, bien souvent pour leur compte personnel, ils ont changé la face de toute une filière et mis en avant de nouveaux relais de croissance[13]. »

La technologie PUMit développée par UbicMedia offre ainsi aux ayants droit une solution technique qui permet d’allier système de rémunération des contenus sur Internet et « superdistribution » numérique des films, notamment à travers les réseaux P2P. De plus en plus, les artistes et les labels indépendants comprennent l’intérêt d’utiliser le peer-to-peer comme outil de distribution pour atteindre des millions de fans. Avec les logiciels de pair-à-pair, le récepteur se transforme également en émetteur. Ce type de coopération directe entre pairs permet ainsi de démultiplier l’exposition des œuvres et d’économiser les marges du circuit de revendeurs traditionnels.

Le fait d’impliquer la communauté de clients à participer activement à l’activité et au modèle d’affaires de l’entreprise représente désormais pour celle-ci un avantage comparatif essentiel à l’ère du numérique. Ce type d’enrichissement de la communauté par la communauté permet aux membres les plus actifs de créer de façon directe ou indirecte de la valeur à destination des membres les plus passifs, sans aucune interférence de la part des salariés. Un crowdsourcing efficace permet alors aux suggestions d’amélioration d’être directement collectées, aux questions sur l’œuvre ou le service ainsi qu’aux problèmes après-vente d’être résolus par d’autres utilisateurs, à des services tiers tels que des applications d’être réalisés par les clients. En outre, les communautés en elles-mêmes sont de précieux indicateurs de tendance. Pour le reste, les logiciels P2P s’avèrent être de très bons outils pour la récolte de renseignements marketings à moindre coût. En plaçant le consommateur au centre de la création de valeur, les activités de peer-to-peer deviennent instrumentalisables à des fins d’études de marché. Comme le souligne Alban Martin : « Dans un secteur où il est difficile de prédire le succès d’une œuvre culturelle, cette visibilité vaut de l’or. » Enfin, impliquer le public et les amateurs avertis le plus en amont possible de la production du contenu permet de minimiser les risques industriels.

Avec Internet, la participation des spectateurs à l’enrichissement du contenu des médias est facilitée. Le public n’est plus simplement placé « en bout de chaîne, en phase de “digestion”, mais bien dans un processus participatif d’accompagnement de l’information  …  dans une logique de co-création de valeur »[14]. Cependant, il apparaît aujourd’hui difficile pour les grandes structures de s’adapter rapidement à ce changement de paradigme. Les petites structures sont en effet plus à même de faire face à l’explosion de leur chaîne de valeur et d’intégrer leurs clients au sein de l’entreprise. Reste à savoir s’il s’agit réellement d’une nouvelle économie radicalement différente à laquelle les majors doivent s’adapter rapidement ou bien mourir. Ou bien, s’il s’agit plutôt d’une évolution du capitalisme.

L’économie de la pollinisation et de la contribution, nouvelle économie ?

Comme le remarque Chris Anderson, Internet repose sur deux unités monétaires principales, « l’attention (le trafic) et la réputation (les liens) »[15], qui sont devenues la base d’un véritable marché. Considérons par exemple le service de microblogging Twitter. L’attention portée à un profil y est mesurable à travers le nombre de personnes (followers) qui se sont abonnés aux messages de cet utilisateur, créant ainsi du trafic vers celui-ci. La réputation d’un compte apparaît pour sa part proportionnelle au nombre de messages rediffusés (retweets), qui permettent de faire des liens, d’étendre la sphère d’influence, de filtrer les messages les plus pertinents et de créer une relation de confiance entre « retweetés » et « retweeteurs » en montrant l’intérêt des uns pour les messages des autres. Désormais, attention et réputation deviennent de plus en plus monnayables et tangibles. Comme le souligne Chris Anderson : « Les “amis” sur Facebook sont un exemple d’unité de monnaie de la réputation. Plus vous avez d’ “amis”, plus vous avez d’influence dans le monde de Facebook, et plus vous avez de capital social à dépenser[16]. » Avec son algorithme d’indexation PageRank, Google devient ainsi une véritable place de marché de la réputation sur le web. Par ailleurs, les frontières se brouillent entre production et consommation, travail et expression culturelle. Mais cela ne signifie pas que chaque utilisateur se transforme en producteur actif, chaque travailleur en créateur. Les mutations des modes de production, de distribution, d’échange et de consommation des biens et services à l’ère du numérique reflètent une évolution des systèmes de valeurs. Une nouvelle économie post-capitaliste apparaît, entre promesses d’un dépassement de l’économie marchande et intensification du régime capitaliste.