Dans l’univers (réputé masochiste) judéo-chrétien, il importe, dit-on, d’établir l’excès comme norme. Ça permet l’exercice doublement plaisant de la privation et du sacrifice, ce qui procède tout simplement d’une bonne hypocrisie qui consiste à vouloir jouir de deux choses à la fois sans pour autant jamais l’avouer :

- d’abord, le plaisir en soi, par lui-même, pour lui-même et ensuite,
- le fait que le plaisir constitue une partie atténuée de la norme.

Norme qui, considérée comme telle serait un excès, selon le mode du « je me prive un peu, je suis raisonnable ».
Métaphore diététique : « si un kilogramme d’une quelconque denrée est, pour ma constitution, une consommation excessive, je dois ériger ce kilogramme comme norme afin de pouvoir considérer comme privation raisonnable les cinq cents grammes qui me conviennent en fait parfaitement. »
Si au lieu du kilo, j’avais d’emblée pris cinq cents grammes comme norme j’aurais vécu exactement. Prenant le kilo comme référence et ne consommant que cinq cents grammes, alors je vis « judéo-chrétiennement ». J’accède à bon prix à la privation.
A la volupté du sacrifice affiché s’ajoute en outre le droit ainsi acquis de donner des leçons, de jouer les mentors et redresseurs de torts.
Etre en suffisance, voire en complétude tout en paraissant raisonnable, résigné, ou affligé, pire, sacrifié.
Ah! comme il est délicieux d’être une victime au ventre plein.

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L’expression « vivre exactement » est empruntée à Musil, L’homme sans qualités.