Des mentalités « dérangées » : retour aux sources

Notre contexte historique  est très particulier : il est issu de la vaste confusion née aux XIX° et  XX° et au sein de laquelle nous nous croyons contraints de vivre, résignés que nous sommes.
Nous devons assumer le passé et le dérangement profond des mentalités aux XIX° et XX° siècles.
Mentalités qui ne se re-rangent ni ne se réarrangent pas depuis…
Ainsi la déroute nous invite à nous doter d’un « nouveau paradigme »… mais nul ne sait lequel.
Voyons pourquoi.

Des mentalités dérangées

La découverte des strates enfouies de la personnalité, de l’inconscient, ont privé la personne individuelle de sa pleine et totale responsabilité. Là où il avait été commode au fil des siècles de voir la main du Malin, il convenait désormais de voir la personne mais pas forcément la partie émergée de celle-ci… dérangeant non?
Nous avons, il y a peu, quitté un siècle, le XXème, au cours duquel les mentalités furent exposées à de puissants bouleversements.

Des drames certes …

On pense tout de suite aux totalitarismes, aux montées puis aux chutes des idéologies toutes plus vaillantes les unes que les autres, on pense à la « barbarie » et l’on a bien raison de craindre d’en oublier les traits et les multiples visages…

Responsabilité et inconscient

Mais ce ne fut pas tout, parallèllement, et ce dès la fin du XIXème siècle, la découverte des strates enfouies de la personnalité, de l’inconscient, ont privé la personne individuelle de sa pleine et totale responsabilité. Là où il avait été commode au fil des siècles de voir la main du Malin, il convenait désormais de voir la personne mais pas forcément la partie émergée de celle-ci… dérangeant non?

L’oubli à l’honneur

La mémoire est, elle aussi, de la fête car l’oubli n’est plus un simple dysfonctionnement, il est bientôt réputé plus riche de sens que l’intention consciente délibérée…

Savoir être le fou de l’autre

Et la folie, déjà bien relativisée par des siècles de rapports plus que changeants à son égard, la voici promue au rang de discriminant sociologique et anthropologique : « dis-moi qui est ton fou, je te dirais quelle est ta société ». Inversement, on comprend vite qu’on est toujours le fou de quelqu’un.
Quelle malheureuse petite place reste-t-il dès lors pour la « normalité » ?

Inconscient, oubli, folie, norme …

Le XX° ( fin) = marqué par ce qu’il faut bien appeler une préoccupation philosophique « dérangée ».
L’inconscient prive la personne de sa volonté et de sa responsabilité.
L’oubli a désormais un sens : ce qui paraît  paradoxal !
La folie est révélée comme strictement relative à la société qui la proclame telle.
La « normalité », en fin de compte ne sert plus à grand’chose.

Autre drame (ou le même ?) pour l’inconscient collectif :

Voilà une partie du drame de l’inconscient privé.
Autre drame (ou le même ?) pour l’inconscient collectif :
2 formes :
1° Celle des idéologies, des croyances (foi), mythes, axiologies, traditions, folklores…
2° Ce que l’on a insisté pour nommer « le retour » de la barbarie : qui héberge en vrac le nazisme, les goulags des différents communismes, les terrorismes de toutes les couleurs du spectre …    (Il conviendrait ici de se référer plus en détail à Hannah Arendt).

La violence : accident ou nature profonde ?

« Retour » de la barbarie, disions-nous à l’instant, ce n’est un « retour » que si l’on veut oublier une longue liste de pogroms, de chasses aux sorcières, aux apostats, renégats, marginaux … tant de toujours vigoureuses luttes tribales ethnocides (qui ensanglantent encore l’Afrique du XXI° siècle) après avoir empli les navires du commerce triangulaire …
L’esclavage n’est jamais mort – ici ou là, certes – mais globalement jamais ! (Voir note ci-contre).
Ajoutons sa forme plus familière : celle du proxénétisme.
Pensons aussi à toutes les formes de mutilations « librement » consenties :
rituels religieux ou mutilations religieuses (parfois des plus avilissantes)
conformismes induits par les modes (réputés de stricte esthétique mais en fait non moins cultuels ou dégradants)    (nombre d’auteurs ont déjà en leur temps observé ces différents types de pratiques – C.G. Jung, M. Eliade, G. Dumézil)
Nous ne devons, en outre, surtout pas oublier l’effroyable violence induite par la société industrielle qui a sévi du XVII° au XXI° sans relâche.
Question : le « bon » citoyen d’un Etat auquel il délègue ses pouvoirs de violence ne pourrait normalement pas être un bon chrétien car dès qu’il délègue il ne pratique plus la lutte contre sa nature profondément violente : pire il amplifie celle-ci par le nombre, la qualité des armes dont disposent ceux auxquels il la délègue. C’est un bien plus gros péché de déléguer que de pratiquer soi-même ! Paradoxe ?

Des compartiments étanches

Tous les aspects de ces mutations ou dérangements sont en général bien compartimentés – soigneusement isolés – dans les analyses que pratiquent nos disciplines académiques.
Ils sont occultés en tant qu’avatars d’une seule et même réalité, d’un seul et même trait humain la « normalité humaine » :
Cette violence fondatrice du tissu social : la seule force qui vaille dans les relations humaines … la violence et la peur.     (R. Girard)
Tout le reste est le fin vernis de civilisation dont la mission première est de dissimuler ce qui précède par tous les moyens.
Mais le matériau sous-jacent est bel et bien toujours nourri de violence – aussi appelée, en politique et autres lieux de stratégie  « rapport de force  » quand elle demeure à l’état de menace.

Nos inadmissibles : la violence et la mort

Recyclage de pulsions profondes

Il ressort donc de ces travaux que la civilisation dont nous nous gargarisons tous n’est bien souvent qu’un habile recyclage de pulsions profondes … (Eliade et Girard) Le vocabulaire commercial contemporain ne prend même plus la peine de dissimuler les emprunts terminologiques faits au monde de la guerre, de la lutte sans merci : agressivité commerciale, conquête de marchés, expansion, fronts, opérations … Les vocabulaires politiques, commerciaux et militaires convergent sans cesse.
Bien entendu la séduction s’en mêle également … mais nous éloigne-t-elle vraiment du lexique de la « conquête » ? (Lire Barthes et autres sur le discours amoureux).
Tant de tactiques humaines (avec plus ou moins de succès et d’élégance) concourent à occulter l’inadmissible : le caractère manifestement fondateur de la violence au sein des relations humaines.

Les discours de la fin

Le reste de ce tissu mythologique très profond dont il s’agit ici, est au service d’un autre rejet d’un autre inadmissible : la mort (pas la mort riche de craintes et d’espoirs du croyant conviancu) mais la mort désespérée ; la mort non pas en tant que « passage » vers un univers meilleur mais la mort en tant que fin absolue.

L’homme ne sait pas quoi inventer pour nier ou retarder l’absolument inadmissible : la mort.

Pour cela il ne dispose que du  » contact » : d’où la primauté du phatique sur le sens dans tous les « processus » de communication.
Il ne peut plus que r̻ver le sens : ce qui atteste le caract̬re subsidiaire de la signifiance (art Р̩motion Рmusique et po̩sie et toutes limites du sens qui jouent des absences du sens).

L’acceptation de la mort est impossible.
Autrement dit : finalemen la gestion de l’inadmissible consiste à parler pour durer Plus particulièrement à parler sans cesse de la fin. La plus grande ferveur de la vie consiste à toujours parler de la mort pour affirmer la vie.

Ou encore :  » la mort est un excellent prétexte pour parler de la vie.
Au-delà de la boutade on peut en effet constater :
N’ayant rien à faire les Grecs s’ennuyaient en vivant, alors ils parlaient, parlaient, parlaient… Or Socrate était grec, Socrate s’ennuyait en mourant … alors il parlait, parlait, parlait…

D’où le recours à des mythes soit « explicatifs » soit de vérité provisoire ou « certitudes d’attente ».. (on y reviendra encore et encore) ; recours aussi à des tentatives de repérage, d’analyse, et parfois plus courageusment de panoramas … pour y voir un peu plus clair.